I'm sorry but I can't stop the bleeding

Arriver là où l'on est étranger, quel sentiment était-ce là pour lui qui avait toujours connu l'amour d'un frère comme d'un ami ?
Le tocsin résonnait en coups répétés, secouant son esprit, sa charpente, ses os, et lui seul pouvait l'entendre.

Anarkia

Elle avait une bouche aux lèvres de printemps, elle, l'inconnue, et répétait ainsi ce mot et cette malédiction. Il n'en guérirait pas, sa faiblesse à lui loin de tout pardon.
Encore une fois, Iason s'éveilla d'une nuit de cauchemar, portant sa couronne d'ombre mais non point de regret.  Se souvenait-on, aux Cinq Pics, de l'enfant qui venait parfois ? L'adolescent aux yeux noirs, visitant son cousin et puis le hélant avec tout l'amour de son jeune cœur : « Adelphos ! »

Frère....

Car ils avaient été élevés ainsi, bien plus que comme des cousins malgré les secrets et les non-dits. Si l'histoire de Jayden était différente de la sienne, avec sa propre quête, ses propres épreuves, ils n'en restaient pas moins liés par toute l'amitié dont un humain est capable.
Même un humain au cœur si faible, terriblement faible, comme Iason. Ce n'était pas là une histoire de droiture et de vertu, le jeune homme en possédait de par l'éducation que son cousin lui prodiguait parfois tout en lui racontant ses voyages et ses exploits ainsi que les yeux des femmes, non c'était autre chose.
Faible.
Ni son père, ni sa mère ne lui avaient jamais rien dit de tel. Comme tous les parents, ils avaient de nombreux défauts mais ils aimaient également. Ils l'aimaient.

Des qualités autres que son cousin, voilà ce que son père disait qu'il avait. Une droiture de cœur, voilà ce que sa mère lui donnait, était-ce assez ? Non. Non car ce cœur pourtant droit, pourtant empli d'affection, ne battait pas assez, ou bien était-ce trop ? Il ne savait plus, mais l'important était là : le cœur était défaillant.

Jayden s'en fichait, pour lui cela ne baissait en rien l'estime de son jeune cousin et ils souriaient, tous les deux, ils souriaient, la peau brûlée par le soleil et les yeux rieurs. Personne ne songeait à prêter à Iason une destinée sombre et douloureuse, personne ne songeant à voir en lui autre chose qu'un jeune homme rêveur, espérant de grandes choses de la vie. Comment aurait-on pu ?
Si son cousin lui apprit l'art de la lutte et quelques rudiments de combats, bien que Iason se fatigue assez vite du fait de son problème cardiaque, le jeune homme se résolu à se tourner du côté des livres pour y trouver un épanouissement lui étant propre.
Depuis l'enfance également, peut-être même avant de savoir correctement marcher, il montait à cheval. En cela, Jayden ne pouvait le battre et il n'était pas rare alors de voir l'adolescent, à cru, contempler quelques paysages bien à lui depuis sa monture.

Entre ses études, Iason revenait souvent vers Jayden. Son cousin l'accueillait toujours avec la même joie, et quant à lui il trouvait en sa compagnie une paix sereine capable de lui faire aimer la vie à nouveau. Ensemble, avec Jayden, ils buvaient peut être trop, ils riaient beaucoup, ils se chamaillaient également, mais quelle importance ? Ensemble ils regardaient danser les filles et souvent, bien souvent, terminaient dans leurs bras. Iason ne se questionnait pas plus que cela sur le sens de la vie, il avait besoin de sa solitude parfois, alors il prenait un livre ou un cheval et s'évadait alors, au galop dans une plaine ou bien au contraire, enfermé dans une pièce avec pour seule bataille, la traduction d'un texte.
On pouvait le trouver peu honorable, parce que son cousin était chevalier et pas lui, mais l'honneur, Iason avait le sien. Peut-être était-ce la qualité qu'il possédait le plus : ne jamais briser une promesse, ne jamais revenir sur ses mots et toujours se battre s'il le fallait, pour protéger quelque chose ou quelqu'un. En cela on le considérait comme têtu et borné, à la limite de la méchanceté parfois, au delà de l'idiotie aussi et lui, il ne comprenait pas.

« Mais s'il faut se battre, alors battons nous ! »

Mother forgive me, I need all your love...

Non, pas tout le temps, pas comme ça, lui répondait-on. A quelle bataille alors vouer son cœur amoindri ?

Aucune...

On lui disait de lire, on lui disait d'en rester à ses textes, à ses bibliothèques, de rester passif, observateur... N'était-ce pas se priver du monde ? A nouveau, Iason vint noyer son chagrin dans les bras des femmes. Au Cinq Pics désormais, on l'appelait l'Archéologue, ce n'était plus un jeune garçon, plus beaucoup.

Give us the strenght to live on

Lui aussi voulu parcourir le monde avant que trop de questions ne l'étouffent, mais que restait-il à voir ? Quelques merveilles peut-être, mais l'honneur comme celui qu'il rêvait de posséder, Iason du apprendre que cela ne se trouvait que dans les livres et les récits mythiques. On pouvait se battre pour une cause et l'on pouvait réussir, mais les blessures que l'on portait empêchaient tout honneur, et au final ce n'était plus que des frères contre des frères.
Ainsi, ce que le monde et la vie lui offraient, c'était un corps qui toujours le placerait comme faible parmi les puissants, et un esprit qui ne pourrait trouver de quête auquel s'accorder véritablement.

Les femmes le trouvaient romantiques, jusqu'à ce qu'il les fasse déguerpir au matin. Lui-même avait ses défauts, il ne s'en cachait pas. S'il se détestait – ce que l'on ne savait pas-, Iason acceptait malgré tout de vivre avec soi-même. Don Juan d'un soir, jamais de deux, poète cynique, archéologue nostalgique, l'homme savait offrir plusieurs visages à la vie.
Il regrettait peut-être parfois de n'être pas à l'image de son cousin, mais ne faisait pour améliorer cela.

Désormais, plutôt que de revenir aux Cinq Pics chaque fois qu'il avait un congé entre deux chantiers Iason s'en allait par monts et par vaux à travers différents pays. Jayden ne comprenait pas, pas vraiment, et Iason ne prit pas la peine de lui expliquer qu'il cherchait désespérément quelque chose pour justifier que le modèle de vie prôné aux Cinq Pics, n'était pas hypocrite. Il savait évidemment que son cousin ainsi que les autres chevaliers, avaient à protéger une déesse : Athéna. Guerre et Sagesse à la fois, pouvait-on faire confiance à un être -fut il divin- aussi bipolaire ? Nulle part il n'y avait de Guerre et d'Honneur, alors au diable Athéna. Quant à Ares, autre figure belliqueuse du panthéon hellénique, hé bien le pauvre représentait la guerre dans toute sa barbarie et ses litres de sang. D'après les textes que Iason avait étudié, même Zeus n'aimait pas son pauvre fils. Désolé Arès, on boira un coup ce soir à ta santé....

Quant aux autres.... hé bien Poséidon engendrait des cyclopes et empêchaient des maris de retourner chez eux, sur leur île. Hermès était un filou, Hephaïstos avait la vengeance facile, Aphrodite la cuisse facile, elle....
Les dieux grecs n'étaient que les défauts des hommes dans un habit divin. La glorieuse Athéna pour qui tous se sentaient prêt à donner leur vie, possédait une arrogance encore plus étendue que celle de Iason, d'après les mythes, ce qui n'était pas rien.
Ils se drapaient de leurs défauts, ils possédaient la toute puissance et pour un dieu, un seul, Iason avait un jour eu un compliment...

Il était encore jeune, encore étudiant, un brin d'herbe entre les lèvres et son cousin près de lui. Etendus, paresseux, ils regardaient passer les filles revenant du marché, les paniers aussi remplis que leurs corsages. A mi mots, ils parlaient des dieux aussi, et alors qu'une demoiselle, les joues rouges, offrit à Iason une grenade avant de partir, toute timide -qu'importe, elle lui avait donné son accord pour qu'il la rejoigne au soir-, celui-ci prononça le nom d'Hadès.

« -N'est-ce pas une grenade aussi, qu'Hadès offrit à Perséphone ?

-Ma foi, en quoi l'affaire t'intéresse ?

-Un fruit pour garder une seule et unique femme auprès de lui, et ce pour l'éternité....Le dieu des enfers est bien plus gentleman et humain que nous, Adolphos »

Son cousin ne lui répondit que par une taloche. Iason, quant à lui, laissa la grenade et n'alla pas voir la jeune grecque, le soir. De temps en temps, l'ivresse des sens ne pouvait absolument rien contre le besoin de réfléchir... Mais le souvenir datait à présent et Iason continuait d'aimer les femmes à défaut d'aimer les dieux.

Un jour, par pur caprice, il décida de passer quelques temps au Mont Saint Michel, en France. Là bas, il coucha avec deux étudiantes en architecture (ensemble ou séparément, cela ne vous regarde pas) et prit le temps de s'intéresser au mythe du dragon européen et à ces chevaliers, archanges ou vierges toujours prêts à les dompter et battre.

Le Bien contre le Mal, dommage pour le dragon qui lui devait simplement élever sa famille pépère dans son coin. Bon ok, il trouvait également le temps de dévorer une donzelle ou deux, mais était-ce pire que les tigres d'Asie ? Persée, Andromède...quel bordel ça avait été aussi, ça, après tout si la dame voulait s'offrir d'elle-même au dragon, hein ? Iason ne comprenait pas : qu'est-ce qui pouvait rendre ces actes ci plus honorables que d'autres ?

Une nuit, il s'éveilla, seul et le cœur en feu. Cela lui arrivait parfois, il savait quoi faire... Les gestes fiévreux, le jeune homme prit un doliprane en poudre dans un verre d'eau, de quoi désépaissir le sang, de quoi aider le cœur... Il songea à son cousin au sommeil toujours paisible, et qui ne risquait pas de crise cardiaque passé la trentaine. Avec un soupir désabusé, Iason se laissa tomber dans le fauteuil de la chambre, attrapant la peluche dragon qu'il avait eu la fantaisie d'acheter à une des boutiques souvenirs du Mont. Dans la rue, le vacarme joyeux des fêtards un peu trop ivres, enflait et disparaissait à mesure que chacun rejoignait sa propre chambre d'hôtel. Il entendit un couple s'embrasser dans le couloir, regretta d'être seul et balança avec violence la peluche contre un mur. Celle-ci rebondit mollement avant de s'écraser par terre. Pas besoin d'être l'archange Michel, le chevalier Georges, le demi-dieu Persée ou la vierge Marthe : le dragon était vaincu quand même.

Dans sa poitrine, la douleur empirait. Ca, par contre, c'était pas normal. Et puis cette tristesse, comme si plus rien n'en valait pas peine...
S'il faut nous battre, battons-nous!

Plus jamais. Iason tomba à genou, vaincu par il ne savait quoi, mais était-ce étonnant ? Non il était faible en combat comme en tout. Pas d'importance, on l'avait voulu rat de bibliothèque, pas d'importance....

Les dieux n'ont que faire des faibles, pourquoi leur offrir une quelconque allégeance ? Il pouvait très bien crever ici, dans ce cas il le ferait en crachant sur le nom d'Athéna et sur toutes ces choses que Jayden adorait tant.
Parce que personne n'avait jamais compris la moindre de ses victoires à lui, l'archéologue au cœur faible. Parce qu'il devait fournir au moins deux fois plus d'efforts qu'une personne normale pour arriver à accomplir une tâche physique, mais que cela n'était jamais assez pour atteindre l'excellence, alors jamais rien n'était reconnu. Alors il se cachait derrière son honneur bien  lui que les gens appelaient idiotie, méchanceté ou arrogance lorsque ce n'était pas les trois à la fois.

 « S'il faut nous battre, battons-nous ! ». Hélas, je le fais depuis trop longtemps et ne récolte rien que des regards vides, des cœurs aveugles et des solitudes brûlantes. N'est-il pas temps pour moi de poser les armes, de devenir le méchant idiot qu'on veut que je sois, celui incapable de fournir le moindre effort mais toujours prompt à critiquer ?

Un destin sans destin.

 Etendu par terre, il sentait la moquette lui écorcher les joues. Tout en lui, les battements incontrôlés ne cessaient pas.

My wounded warsong

S'il fermait les yeux, que se passerait-il ? A quoi bon ces années à accumuler bonté de cœur, intelligence et tendres souvenirs auprès des femmes ?

There is nothing you can do, so sleep in your only memory of us…

Inspirant profondément, le jeune homme tâcha de se redresser. Il toussa, les poumons en feu et sentit alors comme une barre d'acier lui clouer le dos. Bon dieu, il n'allait pas faire une crise cardiaque, non ?!

Ce fut alors que la chose apparue. Un frisson glacé lui écartela le dos, des os jusqu'à la moelle et le froid qu'il sentait alors semblait pareil à celui de la tombe. Les membres engourdis, sans souffle, Iason se redressa comme il put.
Un dieu avait fait venir le surplis près de lui, un dieu réclamait son allégeance : Hadès. La gorge sèche, le jeune homme tenta de déglutir, accepter de porter ce surplis, c'était accepter de tourner le dos à Athéna, à ses chevaliers, mais tout en même temps s'approprier une puissance qui sinon ne serait jamais sienne.

Every child follow blind the cold path we called Life

Dans quelle mesure cela pourrait affecter son cœur ? Iason ne le savait pas exactement, de toute façon il s'en fichait car sa décision était prise. Il n'eut aucun regret pour le souvenir des Cinq Pics, pour les joues roses des filles, les yeux rieurs de son cousin ou bien encore les grandes destinées que l'on prêtait aux chevaliers.

Il n'eut aucun regret pour ce qu'aurait pu être sa vie, à rester tranquillement dans l'ombre de Jayden,  ou pour tous ces combats à venir qui l'attendaient désormais.

S'il faut nous battre...

Contre Jayden de la Balance, contre les autres chevaliers, contre Athéna, Iason de la Wyverne saurait se dresser à présent.

 Hé bien battons-nous!