"Personne ne comprends, je le sais, personne ne sait mais ils font tous semblants...tous."
"Layla n'est pas normale..." Les mêmes mots répétés inlassablement quand sa mère s'excusait auprès des autres parents pour le comportement de l'enfant. Pas "ma fille" ou un quelconque mot qui la rattachait à sa chair, elle n'était pas sienne. Pas d'atténuation ou de mots détournés, sa propre mère ne trouvait pas l'enfant "normale". Et c'était tout ce qu'elle trouvait à dire, avec cette même grimace qui devait sembler désolée, mais Layla n'y voyait qu'un autre mensonge, elle se moquait d'elle. Elle ne comprenait pas cette enfant qui devait être la sienne, alors ce ne devait pas être la sienne. Elle avait espéré autre chose, un don de Dieu plus facile à gérer, qui ne se mettait pas à hurler quand on essayait de lui expliquer quelque chose, qui ne mordait pas lorsqu'on tentait de lui faire entendre raison, qui ne frappait pas quand on tâchait, en vain, de la calmer. Ils ne comprenaient pas cette gamine, elle les avait entendu.
C'était la même chose à l'école, le sourire faux de la maîtresse, sa voix pleine de mensonges qui lui disait d'écouter sinon elle ne comprendrait pas. Mais c'était elle qui ne comprenait pas, elle l'avait entendu utiliser les mêmes mots que ses parents, que les autres enfants, ce que tout le monde disait autour d'elle. Elle les entendait même quand ils croyaient qu'elle ne pouvait pas. Ils attendaient toujours qu'elle ait le dos tourné pour se moquer, pour rire d'elle, parce qu'elle ne comprenait jamais rien, mais elle les entendaient toujours. Ils ne comprenaient pas, elle devait leur expliquer, mais elle n'y arriverait pas, personne ne la croyait, personne ne comprenait, et sa colère ressortait, comme toujours, c'était le seul moyen qu'elle connaissait. En fait ils ne voulaient pas comprendre, c'était bien plus amusant de se moquer d'elle, de lui faire du mal, plutôt que d'essayer.
C'était compliqué pour elle, elle ne connaissait pas les mots pour dire ce qu'elle voyait, alors que dans son esprit c'était simple, si simple, à en hurler. Mais jamais ils ne pourraient comprendre, ils ne pouvaient pas voir eux et ça les amusait de la regarder s'agiter pour essayer de leur dire. Elle voulait oublier leurs voix, leurs regards, mais c'était impossible, et à chaque fois elle voyait le filet se resserrer, se tendre, se tordre, s'entremêler à d'autres aussi torturés, à l'infini, sans cesse. Mais personne ne pouvait comprendre, et elle avait fini par arrêter d'essayer, puisque ça ne changeait pas, c'était que ça devait rester comme ça. Parfois rester immobile avait du bon, juste rester ramassée sur elle-même dans un coin, fermer les yeux et essayer de calmer les tourbillons de couleurs et de mouvements dans son esprit, serrant dans sa main un morceau de tissu, seule attache à la réalité.
"Tu sais, je les vois ces lignes... Elles se croisent toutes à un moment donné, et ça provoque de nouveaux changements, à chaque seconde."
Ils ne voulaient plus d'elle alors ils s'en débarrassaient. Ils ne l'avaient pas dit comme ça bien sur, mais c'était juste une façon logique d'agir. Elle allait prendre l'air à la campagne, chez un oncle, ça lui ferait beaucoup de bien et ce n'était pas pour longtemps. C'était des mensonges, toujours, mais elle avait fini par s'y faire, ils mentaient tous. À dix ans elle n'était plus un bébé, elle pouvait comprendre...mais eux ne comprenaient jamais. Il lui avait semblé déjà vieux, avec tous ces traits sur sa peau usée, il n'entendait pas et ne parlait pas. Mais les quelques jours s'étaient transformés en semaines puis en mois et elle avait bien dû entrer dans l'école de son quartier. Ses parents ne reviendraient pas la chercher, mais ils n'étaient pas ses parents s'ils agissaient comme ça.
L'école n'était pas la même, mais c'était la même chose, personne ne pouvait comprendre, personne ne comprenait jamais, ils ne faisaient que se moquer... C'était la même chose, elle n'avait pas sa place dans cet endroit, elle ne voulait plus y aller. Les mots dans les livres étaient faux, ils n'étaient pas bons, ils mentaient. Ce n'était pas logique, il manquait des choses ou alors on avait modifié ce qui devait normalement arriver. Les mots étaient faux, elle ne savait plus les lire. Elle déchirait les pages, raturait les paragraphes, il fallait qu'ils voient. Mais ils ne voyaient jamais, ils se moquaient, et finalement ils la mirent dans une autre école, mais c'était toujours pareil...Personne ne comprenait...
Le vieil homme lui avait apprit lentement mais sûrement la langue des signes, puisque c'était la seule façon qu'il avait de communiquer. Il lui parlait longuement du nœud gordien et des légendes qui l'entourait, puisque c'était l'attraction touristique de la ville. C'était le seul sujet qui semblait capter l'attention de la petite fille, d'abord en des termes très simples, puis en expliquant un peu plus à mesure qu'elle comprenait. Elle n'avait jamais compris pourquoi Alexandre l'avait tranché, ce n'était pas logique, comment cet homme qui avait conquit un empire n'avait-il pas pu comprendre l'évidence? Le nœud avait été fait, il pouvait donc être défait de la même manière. Il suffisait juste de la trouver. Signer l'aidait à se concentrer un peu, et cette histoire de corde entremêlés lui parlait assez, comme ces jeux pour enfants comme des toiles d'araignées. Mais il n'y eu plus d'école au bout d'un moment, elle préférait rester dans le silence de la petite maison, et le vieil homme ne parlait pas.
Elle les entendait toujours, dans son dos, alors qu'ils souriaient comme si de rien était devant elle. Bête sauvage...Folle...Animal... Ils n'étaient là que pour lui faire du mal, comme les autres, comme tous, et aucun ne comprenait. Pourtant c'était si simple, aussi simple que lorsqu'ils enfonçaient leurs pieds dans son ventre pour la faire taire, aussi simple que planter ses dents dans leurs bras parce qu'elle ne savait pas quoi faire d'autre. Parfois il lui faisait traduire ce qu'il disait aux voisins... Il disait qu'elle était différente et que c'était pour ça qu'elle agissait comme ça. "Différente"...Pas "pas normale". Elle avait finit par essayer de lui expliquer ce qu'elle voyait, dans cette langue qu'elle connaissait encore mal parfois, mais sans qu'il ait l'air de comprendre. Mais il n'avait rien dit, il ne pouvait pas après tout.
"Il fait sombre ici...mais c'est pareil là-haut, sauf que les ténèbres sont à l'intérieur, ils les cachent...mais je sais, je finis toujours par voir."
Si elle avait réussi à calmer un peu sa colère en se concentrant quand elle signait, au bout d'un moment ce n'était plus suffisant. Elle s'était rendue à Gordion plusieurs fois déjà, il y avait des archéologues sur le site. La partie où ils faisaient des fouilles était toujours plus intéressante, après tout ils avaient mis une barrière, c'était qu'il y avait des choses à protéger. Elle y allait toujours, elle voulait voir des choses intéressantes et elle ne voulait pas être avec les gens...Elle les sentait, avec leurs regards sur elle, elle les entendaient avec leurs sourires en coin. C'était plus calme au milieu des tentes, ils étaient tous si affairés avec leurs petites brosses et leurs cure-dents. Elle comprenait les mots d'anglais mêlés au turc qu'ils utilisaient avec les ouvriers, quelques autres mots qu'elle avait entendu pendant qu'elle était cachée dans une ombre à regarder autour d'elle, mais c'était tout, cette langue était sèche et étrange dans sa bouche. Elle ne comprenait pas pourquoi des anglais venaient fouiller ici, ils n'avaient rien dans leur sol? Il y en avait un qu'elle avait déjà vu plusieurs fois sous les tentes à moitié ouvertes, et dans la vieille ville le soir, là où il y avait du bruit et des rires, beaucoup trop de rires. Là c'était calme, le désert atténuait un peu les sons et elle pouvait essayer de comprendre ce qu'il faisait, penché sur la planche qui faisait bureau. Puis il était partit et elle s'était glissée jusqu'à la tente pendant que personne ne regardait, attrapant ce qui semblait si intéressant avant de disparaître.
Le petit anneau n'était pas vraiment joli ou précieux, il était vieux et usé par le temps qu'il avait passé dans le désert, mais les lignes gravées dessus étaient belles, si simples et si complexes. Mais il était trop grand pour elle, il restait dans la boite qu'elle avait, avec un dessin qu'elle avait trouvé joli dans un livre à la bibliothèque. Petit à petit elle avait rajouté d'autres choses qu'elle comprenait, qui étaient à elle. La boite fermait à peine quand le vieil homme était tombé dans la rue. Il n'avait pas entendu le bruit écrasant des freins et du klaxon, il ne pouvait pas entendre, alors il était mort. Au final même celui qui ne pouvait pas parler mentait, il lui avait dit qu'elle était différente mais c'était faux, il n'avait jamais rien comprit et avait menti, comme les autres. Elle avait mit ses affaires dans un grand sac et rangé soigneusement la boite plusieurs fois, essayant de la fermer mais ça ne marchait pas. La boite était allée frapper le mur, tout s'était renversé, tout était mélangé, ça ne pouvait pas être mélangé autant. Et elle avait rangé une nouvelle fois sa boite, tout doucement, touchant chacun des objets avant de le poser correctement, et à la fin il ne restait plus que le petit anneau qui bloquait le reste. Elle l'avait rangé parce qu'il était trop grand, mais maintenant il était à sa taille, donc il ne devait plus être dans la boite. Elle l'avait mit sur son pouce, là où elle pouvait le faire tourner, et la boite était allée dans le sac.
Où était sa place maintenant? Pas à Ankara, ils ne voulaient pas d'elle, pas à Yassihüyük puisque le vieil homme était mort. Elle était quand même allée à la capitale pour rejoindre Istanbul en train, elle aimait bien le bruit des roues sur les grandes lignes de métal, ce cliquetis régulier qui passait au dessus du bruit une fois qu'elle réussissait à se concentrer dessus. Elle avait entendu des touristes dire que la Citerne Basilique était du même silence que la mort, peut-être était-ce là qu'elle devait être, là où il y avait du silence, elle aimait bien ça après tout. Mais ce n'était pas pareil, ce n'était pas le vrai silence, les autres ne comprenaient pas, il y avait toujours un écho ici, même quand il n'y avait qu'elle et que l'eau ne bougeait pas. Il y avait toujours du bruit, toujours, mais c'était ce qui s'approchait le plus du silence. C'était doux, mais elle ne savait pas où il était, alors elle le cherchait, essayant de démêler les fils qui se croisaient qui tournoyaient, qui rompaient pour se rassembler plus loin, et tout ça c'était faux. Ils disaient pouvoir l'aider, savoir ce qu'elle voyait, comprendre, mais c'était faux, ils mentaient, tous, ils avaient toujours menti et ce serait toujours comme ça, parce que personne ne pouvait voir ce qu'elle voyait. Personne ne comprenait jamais. Elle réussissait à calmer son esprit pendant quelques semaines, pour apprendre ce qu'on lui demandait de faire, mais ensuite elle voyait ce qui n'allait pas, ce qui n'allait jamais, et ils ne comprenaient pas.
Alors elle recommençait plus loin, dans un autre quartier ou une autre ville, sa place devait bien être quelque part, elle voyait, elle comprenait, c'était seulement logique, sinon elle serait morte. Elle avait toujours sa boite, et même si parfois elle ne dormait pas dans un lit, elle avait le dessin du livre et ses belles couleurs. Mais elle n'était plus une enfant, elle avait compris depuis longtemps que les autres n'étaient pas bons, ils étaient tous pareil. L'anglais n'appartenait pas à un seul pays, en fait on le parlait presque partout, elle l'avait compris, et dans les ruines comme sur les docks elle apprenait un peu, si elle arrivait à se concentrer. Elle avait entendu des filles de son âge, des touristes, parler d'université, une sorte d'école chez elles en Grèce, où le silence était obligatoire dans les bibliothèques. En Turquie elle n'avait pas sa place, nulle part, peut-être qu'en Grèce elle la trouverait.
"Je n'ai besoin de personne, je n'ai pas besoin de toi! Pourquoi tu fais ça, qu'est-ce que tu veux de moi?"
La chambre était minuscule mais c'était encore bien trop grand pour Layla, recroquevillée dans un coin du lit. Il y avait trop de bruits à l'extérieur, et ce qu'elle pouvait payer n'avait jamais des murs bien épais, alors c'était enroulée sur elle-même qu'elle essayait de dormir, l'oreiller sur les oreilles et les poings serrés sur le tissu qui le recouvrait. Ça ne durait jamais longtemps, deux ou trois heures, peut-être quatre mais rarement. Elle restait éveillée quelques heures avant de se rendormir, et ce tous les soirs depuis qu'elle était arrivée en Grèce il y avait trois mois. Elle n'avait pas trouvé l'université, celle où il y avait du silence, il y en avait trop et personne ne comprenait, elle les entendait la traiter de folle quand elle tournait le dos. Ses heures d'éveil étaient toutes les mêmes, elle tournait en rond, cherchant à occuper cet esprit qui allait trop vite jusqu'au moment où elle pourrait enfin se rendormir un peu, jouant distraitement avec une des lames qu'elle avait toujours sur elle. Elle n'avait jamais appartenu au monde du jour, elle était faite pour la nuit et le silence, là où elle ne croisait personne, là où on ne la jugeait pas plus que d'habitude. La nuit elle sentait moins les regards sur elle, elle entendait moins les murmures derrière son dos, comme si les ombres étouffaient tout. Et chaque nuit alors qu'elle veillait en attendant le prochain moment pour dormir, elle cherchait la même solution au problème qu'elle n'arrivait pas à résoudre: quelle était sa place? Si elle existait, c'est qu'à un endroit dans ce monde il y avait quelque chose qui l'attendait, ou sinon elle n'avait aucune raison de vivre. Mais pourtant elle vivait.
Ce n'était qu'une nuit comme les autres, peu avant ses vingt ans, une autre à chercher sans trouver, rien n'aurait pu mener ce résultat. La petite pièce s'était empli d'un bruit lourd et pesant...Non c'était le silence, mais il avait été si soudain qu'il en était assourdissant. Ce n'était pas plus sombre que d'habitude non, mais les nombreuses ombres semblaient plus confortables. Juste cette forme noire trônant sur le lit, l'observant patiemment de ce sourire fin. L'armure, puisque ça ne pouvait qu'être ça, était du noir de la nuit et ses reflets sombres semblaient violets. Elle lui fit peur, mais elle était belle, il s'en dégageait une telle conviction... L'armure savait tout, voyait tout, comprenait tout. Son regard se plongea dans celui vide du masque et tout devint calme. Les ondulations et brouillons confus s'apaisèrent soudain, et tout devint si clair, si calme, comme si elle avait mit le temps sur pause pour étudier chaque détail, chaque cause et conséquence. Elle voyait son propre lien, emmêlé au milieu d'autres de couleurs différentes, les nœuds et les éloignements, mais ce n'était pas une simple corde tendue...C'était tout un schéma en quatre dimensions, une toile qui s’étendait dans toutes les directions et où chaque action était représentée d'une façon différente. Son passé, et autour ce qui semblait être un avenir, trop court pour en être sûre, trop incertain pour comprendre vraiment. Mais tout était marqué de la même façon, le choix. Elle devait choisir, et elle savait parfaitement ce qu'il était. Il n'y en avait pas, l'armure était là pour elle, sinon elle ne serait pas apparue. Du bout des doigts elle caressa le métal poli qui était désormais sien. Et elle vit ce discret lien d'un vert proche du noir qui lui disait quelque chose...Il croisait le sien, avant qu'il ne disparaisse avec l'armure.
Elle ne savait pas ce que représentait cet unique et bref aperçu de son avenir, juste que c'était proche et qu'elle devait chercher et trouver ce que ce lien était. Mais c'était lui qui l'avait trouvé en Grèce, alors que l'armure scintillaient encore dans son esprit. Lui qui l'avait emmenée aux Enfers pour la première fois et qui lui avait parlé de la Guerre Sainte...D'Hadès. Lui qui lui avait expliqué les Enfers, les Trois Juges dont la Wyverne faisait partie, et le rôle du Balrog auprès de ceux-ci. Rendre le Jugement en l'absence des Juges... Seuls les dieux peuvent juger les humains et elle n'en était pas un... Ce n'était pas logique, elle n'était qu'humaine et pourtant elle devrait décider du verdict sur chaque âme qui passerait devant ses yeux. Ce n'était logique, c'était ce qu'elle lui avait hurlé au visage, la colère de le voir si aveugle à cette vérité infime prenant le pas sur le reste. Et elle s'était excusée à demi-mots après un court silence tranchant comme le verre. Elle savait qu'il ne comprenait pas sa façon de voir les choses, qu'il n'y pouvait rien, mais sans pouvoir réussir à contenir toute cette colère en elle. Pourquoi personne n'y arrivait, c'était tellement simple.
Iason n'était pas le héros à la Toison d'Or, il était le dragon qui la gardait. Mais les dragons n'étaient pas tous maléfiques, ils avaient de bonnes raisons de protéger ce qu'ils défendaient, c'était logique. Il était Juge, et comme elle il devait protéger la justice, ne pas laisser les mauvais passer...non? Mais seuls les dieux pouvaient juger, et il n'en était pas un... Il ne voyait pas comme elle voyait, il ne comprenait pas ce qui était pourtant si clair... Alors il ne pouvait pas défendre la Justice, c'était autre chose. Mais quoi elle n'en savait rien, elle n'arrivait pas à saisir le schéma qui le composait, et la même colère sourde l'étreignait, parce que si elle aussi ne comprenait pas, alors son propre rôle au sein de l'armée d'Hadès n'était pas le bon. Ce rôle qu'il lui avait expliqué et répété, avec cette même voix qu'il utilisait toujours. Il ne le pensait pas comme ça, elle le savait, mais elle avait l'impression d'être une enfant à côté de lui...Mais elle ne l'était plus depuis longtemps.
"J'ai des ailes de démon, alors que vous avez celles des anges...C'est parce que mon rôle n'est pas le bon n'est-ce pas?"
Il n'y avait ni jour ni nuit aux Enfers, ce n'était pas le royaume d'Apollon. Ce n'était pas silencieux, mais c'était moins bruyant que l'autre monde. Elle avait comprit pourquoi l'armure était venue à elle. Il n'y avait qu'en enlevant patiemment, un à un, tous les liens qu'on pouvait enfin défaire ce nœud compliqué, en jugeant une à une chaque âme pour simplifier le schéma entier. Chaque être vivant sur Terre possédait une partie, il suffisait de les enlever et la solution apparaîtrait. C'était son rôle auprès des juges, sous l'autorité d'Hadès. Il avait jugé les humains indignes de cette terre, et en tant que dieu sa parole était condamnation.
C'était toujours sur le trône du Griffon qu'elle prenait place, parce que c'était à lui que revenait la décision finale. Et c'était son rôle en attendant l'arrivée du Juge. Parfois la Wyverne assistait au jugement, sans y participer, parfois il s'abstenait, mais c'était toujours en silence, ce silence qu'elle aimait tant lorsqu'elle était le Balrog. Le surplis pesait sur ses épaules, mais le poids était agréable, chaud, comme une couverture épaisse qu'on aurait placé autour d'elle. Et cette même clarté, elle voyait tout à travers les yeux de métal noir, chaque lien, chaque péché, chaque faute. Aucune âme qui se présentait devait elle ne méritait le salut, toutes étaient coupables quand le marteau tombait. Et le Silence retombait, apaisant.
Mais ce n'était son rôle, c'était celui du Griffon, du Garuda et de la Wyverne. Les trois Juges, seuls aptes à décider du sort des âmes. Elle n'était pas un juge, même son armure le prouvait, et pourtant c'était le rôle qui lui avait été attribué, elle devait suppléer aux Juges en leur absence. Mais il y en avait déjà un...Cherchait-il les autres? Espérait-il les trouver comme il l'avait trouvé elle? Ou était-ce autre chose? Même avec l'aide du Balrog elle n'arrivait pas à comprendre son schéma, il semblait si incertain, si tremblant, comme si chaque décision, chaque action était retenue au même maillon sur le point de céder. Mais il n'était pas mort, ce n'était pas son âme qu'elle devait juger, elle devrait attendre pour comprendre, pour voir. C'était peut-être ça ce maillon, son choix à elle, décider si elle voulait comprendre maintenant ou attendre encore un peu, ne serait-ce que pour tenter de démêler elle-même le canevas. Après le jugement, dans quelle prison serait-il envoyé...seraient-ils tous envoyés, car tous passeraient finalement devant les Juges à la fin.