C'est bien souvent qu'on ne choisi pas ses parents et sa famille, même le fardeau que l'on portera tout au long de sa vie. Raphaël est de ces enfants qui n'a guère connu son père, sa mère ou son frère. Si ces absences se révéleront être la cause de sa malédiction, il parviendra néanmoins à grandir, à mûrir et devenir ce qu'il est aujourd'hui. Laissez moi vous conter les quelques années avant sa naissance. Comme à chaque histoire, l'on demande une introduction, pour mieux comprend, mieux cerner...

C'était une femme quelconque du nord de l'Angleterre qui avait décidé de partir pour la capitale. Loin de la vie de bohème de ses rêves, elle s'était résolue à trouver un emploi à sa mesure, célibataire et sans enfant à l'approche de ses trente ans. Le nom de cette femme, Raphaël ne l'ignore pas, mais refuse presque de le prononcer tant il représente un poids et une douleur, comme une plaie non refermée, un trou auquel il manquerait un baume pour le consoler. Une femme donc, tout ce qu'il y avait de plus normal, mais une femme qui attira le regard d'un homme. Une belle histoire pas vrai ? Il n'en fut rien, ou presque. Cet homme était un chevalier d'Athéna, venu en mission pour régler une affaire importante qui fit le tour du pays. Et il était reparti, obéissant à des obligations plus grandes que lui, laissant une femme après plusieurs nuits et au creux de son être deux enfants à naître. Il n'en sut rien réellement, sinon surement le jour où il apprit la mort de cette femme en couche, abandonnant un fils vivant, son jumeau mort né emporté avec sa mère à l'aube de son premier souffle sur cette terre. Cet homme dont le nom est aussi passé sous silence fut le premier à tenir dans ses bras Raphaël, dénué de famille, né sous le signe d'un symbole sombre... On le disait aîné des deux jumeaux, il n'était que le cadet. Mais ce secret resta à jamais connaissance du père, et Raphaël lui même en ignore la portée.

C'est ainsi que dès son plus jeune âge, Raphaël trouva sa place au Sanctuaire. Il n'eut finalement pas beaucoup l'occasion de connaître son père, lui aussi rapidement fauché par la mort. C'était pourtant ce dernier qui pris l'initiative de mener un nourrisson dans ce monde étranger, fait de bataille, de sang, de guerre et de fierté, pour l'honneur et la fidélité nourrit pour une déesse digne et bienfaitrice. Et malgré une toute jeune enfance baignée dans cette vie et cette dévotion qu'il n'ignorait pas, faite de jours difficile et fatiguant, Raphaël n'eut jamais à se plaindre de son existence. Très tôt, il s'engagea dans l'optique de lui même devenir chevalier. Si au début ce n'était qu'ambition pour rendre hommage à son père décédé, les choses changèrent peu à peu à mesure qu'il grandissait, nourrissant pour la déesse Athéna et le Sanctuaire une admiration et une loyauté sans égale. Il leur devait la vie après tout. Il avait alors une dizaine d'années lorsqu'il entama son entrainement d'abord au sein du Sanctuaire, suivit une année plus tard par un déplacement dans l'immense jungle de l'Amazonie.


Il est toujours plus plaisant de battre que de se faire battre, pas vrai Raphaël ?

« Silence. Tais-toi, laisse moi ! »

Le souffle caverneux traversa ses lèvres avec difficulté alors que le sang maculait ses poings refermés. Ce n'était pas le sien, car au sol gisait un autre gamin, le visage tuméfié, des tremblements arquant son corps et sans doute plusieurs os cassés provoquant des douleurs qui lui arrachaient de faible gémissements.

Allons, tu ne vas pas me dire que tu regrettes ce que nous avons fait.

« Arrête ! Je t'en prie laisse moi... »

Le jeune adolescent d'une quinzaine d'années s'accroupit au sol, les mains portées vivement à sa tête dans l'espoir de faire taire cette voix qui ne cessait de le harceler. Une voix amusée parfois, d'autres jours sérieuse et sincère. Bonne conscience, ange démoniaque, esprit malfaisant... qu'importe ce que c'était. Peut être était-il juste fou, peut-être était-ce l'écho d'une personnalité intérieure qui prenait malin plaisir à le torturer et lui faire faire des choses affreuses lorsqu'il ne le souhaitait pas.

« Je n'ai pas voulu ça... »

Son regard se porta au corps étendu devant lui. La respiration avait cessé, et s'il concentrait bien son cosmos, il pouvait percevoir les battements du cœur s'arrêter, laissant paraître un dernier souffle d'entre ses lèvres avant de laisser une âme s'envoler. Son propre cœur rata une mesure, délogeant un hoquet horrifié lorsqu'il pris conscience de ce qu'il avait fait. Avait-il tué ce garçon ? Avait-il tué un ami malgré la concurrence qui les opposait ? Avait-il fait ça... ? Il se leva alors, luttant contre ses jambes faibles et les propres tremblements qui prenaient possession de son être.

« C'est de ta faute ! TOUT CA C'EST TA FAUTE ! »

Il avait alors crié au ciel, des larmes perlant au coin de ses yeux. Oui, sa faute à lui, cet être qui osait user de sa voix, de son identité pour le tromper. Il ne pouvait avoir fait ça, il ne le voulait pas... Et pourtant, une mesure en lui semblait sonner comme un compte à rebours. Le tic tac d'une horloge, qui dans un chuchotement discret et taquin vint apporter la solution finale qui fit tout exploser.

Non. Notre faute.

Il l'avait voulu. Il ne l'avouait pas.

C'était la première fois que Raphaël tuait lors de son entrainement. Et ce fut ce jour là qu'il comprit quelle malédiction pesait sur lui. Celle de voir naître en son esprit un second être, plus relâché, moins à cheval sur les manières que le jeune homme avait tenté de maintenir sur son image. Il était cruel et malin, manipulant l'esprit du jeune homme, plus violent aussi, plus dangereux, et surement moins fidèle à la cause d'Athéna que l'aurait voulu Raphaël. Son entrainement l'avait mené loin de la Grèce et du Sanctuaire, affrontant l'hostilité de la jungle d'Amazonie, seul et livré à lui même dans un danger constant qu'il lui fallait combattre pour survivre, aussi bien physiquement que psychologiquement. S'il surmonta ce premier critère, il n'en fut pas tout à fait de même pour le second. Et c'est surement ce que son maître remarqua chez lui... On ne prédestinait guère une armure d'or à un tout jeune combattant, c'était à elle de choisir son porteur. Il était pourtant tout désigné pour être chevalier... Raphaël n'avait jamais imaginé convoiter une si puissante place, et ne s'en croyait pas vraiment capable. Depuis cet incident, les choses avaient grandement changée en lui, gouvernée par une peur bleue de ce qu'il était capable de faire une fois l'autre réveillé... il se savait maître de ses émotions, mais ne croyait pas l'autre disposé aux même intentions...

Il était le digne symbole des Gémeaux par sa dualité interne, par le jumeau perdu mais qui avait existé. L'entrainement au cœur de la jungle d'Amazonie révéla bien plus de chose au jeune homme qu'il ne l'aurait voulu. Toute son enfance, il s'était voilé la face dans une dévotion presque effrayante à la déesse Athéna, sans reconnaître qu'au fond de son être, l'absence de son second lui qu'il n'avait jamais connu lui manquait. Même par delà la mort, son jumeau venait lui torturer l'esprit, épaulé par cette voix insoutenable bien plus forte d'heure en heure alors que la chaleur équatoriale l'étouffait. Mille fois il fit face à des manifestations étranges de son esprit, des visions troublées par la présence d'un enfant à ses côtés, si semblable et si différent, si lumineux comparé à lui qu'il avait l'air innocent. « Suis-je donc le mauvais des deux à être resté en vie ? » avait-il plusieurs fois questionné à la lune, accusant des réponses silencieuses que seule sa voix intérieure pouvait lui donner. Après tout, ne disait-on pas qu'il existait un bon et un mauvais jumeau, le lumineux et le ténébreux, l'un né sous la bonne étoile, l'autre sous celle du chaos ? Tu es le seul à exister. Vrai. Il était n'y avait que lui...

« Méfies-toi des dangers, tu seras seul dans cette forêt. »

Oh non, il ne pouvait être seul, il ne le serait plus jamais. Son maître était un homme bien, un chevalier respectable qui avait su comprendre le mal qui rongeait cet esprit torturé. Il était jeune, mais prêt pour prendre possession d'une armure d'Or. Fort, combattant aguerri, endurant et doté d'un cosmos hors du commun, il était prêt. La dernière épreuve. Celle qui déterminerait tout pour Raphaël. Digne et dévoué pour la cause de la déesse, il l'était. Mais il aurait été mentir que de dire que son aveuglement eut-été complet. L'ombre nourrissait son cœur, alors que la jungle tendait à le faire sombrer. Combien de jour dura cet épreuve ? Combien de fois dû-t-il se battre pour retrouver son chemin ? Combien de temps à devenir fou... ?

Relève-toi Raphaël ou je te dévorerai.

Il avait ouvert les yeux lentement, alors couché au sol, épuisé, affamé, dépossédé de ses forces malgré le cosmos brûlant en lui. Et s'il n'avait plus envie de se battre ? S'il avait envie de se laisser dévorer par l'autre ? Si au fond, rien de tout cela ne comptait, s'il n'était pas fait pour être chevalier... ? Rien ne servait de se battre pour tout cela, pas vrai ? Il était si simple de succomber, de laisser son esprit vagabonder éternellement et donner sa place, l'autre saurait quoi faire, il avait toujours su...

Ne te laisse pas faire Raphaël, tu vaux mieux que ça. N'oublie pas pourquoi tu te bas. C'est sans doute cette phrase qui sauva l'esprit du jeune homme, se la répétant sans cesse, rappelant à ses pensées ce pour quoi il combattait et pourquoi il en était là, en l'état critique et désespéré. Pour Athéna. Pour le salut de l'humanité, pour l'honneur et la dignité. C'était pour ces choses là que le jeune homme avait dévoué sa vie, pour cela qu'il n'avait pas abandonné dès le début, alors que la mort et le sang tachaient ses mains. Il avait réussi à se briser une fois, il ne laisserait pas cet événement recommencer. Il ne laisserait pas l'autre dicter sa loi et le dominer. Il se battrait, avait-il décidé dans l'élan de sa rage, poussant ses forces à se relever.

Laisses moi faire Raphaël, laisses moi t'aider.

« Jamais ! Laisse-moi en paix ! »

Le hurlement perça la nuit, et l'air qui jusqu'ici semblait lugubre sembla s'éclaircir et s'adoucir, laissant sonner les murmures et chuchotements de la faune et la flore, le vent fourmillant entre les feuilles des arbres et apportant une fraîcheur dans cette chaleur tropicale. Il espérait la solitude et la paix, il savait qu'il n'aurait jamais ni l'une ni l'autre. Il était maudit par sa naissance, né sous le signe des gémeaux, né pour être constamment mis à l'épreuve, né pour être fidèle et instable. Il ne serait jamais seul, et il l'acceptait. Car il ne devait faire qu'un avec ce qu'il était pour mener à bien sa mission si l'armure l'acceptait.

Mais tu ne seras jamais seul, et qui sait un jour...

Le retour au Sanctuaire s'était fait dans la gloire et l'honneur de l'obtention de son armure dorée. Âgé de dix-huit ans, il obtenait l'armure convoitée mais lourde à porter des Gémeaux. L'épreuve, il l'avait passé avec un certain succès, comprenant qu'il avait réussi à surmonter cette part d'ombre qui à jamais régnerait en lui. Il se devait d'accepter le bon comme le mauvais s'il voulait être en paix avec lui même. Une tâche ardue, mais pas impossible. On parla ainsi longtemps de Raphaël, chevalier d'or des Gémeaux, redouté non par la puissance de ses coups mais par la profondeur de son cosmos, capable de déployer des forces au delà de l'imagination, allant jusqu'à mettre sa propre vie en danger pour mener à bien ses missions. Mais aussi d'un chevalier craint pour ses sautes d'humeur titanesques, sa dangerosité et l'œil cruel qu'il pouvait aborder quand l'autre se frayait un chemin jusqu'à son esprit. Fidèle chevalier d'Athéna, il n'attisait pas moins les murmures à son sujet, la peur que la folie des gémeaux ne viennent s'abattre sur lui et le fasse passer du mauvais côté. Cette peur n'avait jamais quitté le cœur de Raphaël, ni le danger qu'il pouvait représenter si un jour il cessait de se battre pour ses convictions. Il était le seul rempart contre lui même, à la fois une force et une faiblesse.

« Relève-toi. » Le silence pesait sur le sable de l'arène. « Relève-toi j'ai dit, traître ! » Le murmure lent d'une voix saccadée qui ne parvenait pas à aligner deux mots s'éleva, douloureuse, mais pourvue d'une hargne palpable qui faisait frémir le cosmos. Les spectateurs n'osaient prononcer un mot, une parole, et dans la lice, les deux combattant se faisaient face. Vint un coup, tranchant par des paroles aussi acérées que inattendues.

« C'est toi le traître, chevalier des Gémeaux ! »

Nous ne sommes pas des traîtres... S'entendit-il penser, alors qu'une dernière fois, son cosmos trouva place au creux de sa paume, déclenchant une pluie de puissance qui mit fin au jour de cet homme dépossédé d'armure et de toute dignité. Un traître qui ne valait rien, un lâche qui avait tenté de fuir et qui trouvait la mort de sa main. Les yeux baissé vers ce corps sans vie, Raphaël faisait face à des paroles qui ne cessaient de faire écho à son esprit. Il était depuis des années maintenant au service d'Athéna et lui vouait une fidélité sans faille, alors pourquoi tant craindre de lui quand il faisait les efforts pour ne jamais céder ? Comment croire et avoir confiance quand personne n'osait vous regarder pour ce que vous étiez mais ce que vous pourriez être ?

Et sa propre voix vint le transpercer, évident, et douloureux : Et si c'était vrai... ? Ce n'était pas l'autre qui avait prononcé ces mots. Il ne disait rien... Jusqu'à ce murmure un soir...

Et si ce n'était pas encore vrai ?