Il n'était pas du genre sentimental ou nostalgique, non, mais le fait de retourner dans cet appartement, ce même appartement où il avait passé son enfance lui arracha une pointe au coeur. Pourtant, il n'en montrait rien. Le visage impassible, il regarda les meubles poussiéreux ; personne n'avait vécu ici depuis. Un faible sourire, presque imperceptible, apparut sur son visage alors qu'il vit le vieil uniforme de son père. Un uniforme qu'il avait gardé malgré ce qu'il représentait. C'est un souvenir, lui avait-il dit, pour ne pas oublier d'où nous venons. Et ce qu'ils avaient fuit. Son père et sa mère s'étaient rencontrés dans la capitale nord Coréenne, Pyongyang, alors qu'ils attendaient le bus pour rentrer à leur domicile respectif. Les voitures se faisaient rares, malgré la capitale, et c'était un luxe que tous deux ne pouvaient se permettre. Portant son uniforme militaire, il avait été difficile pour la jeune femme de le rater ou de l'ignorer. Leur regard s'était croisé et, bien trop timides et pudiques, ils avaient détourné les yeux, la première fois. Amenés à se recroiser, ils avaient fini par discuter et même s'il était difficile pour une femme de choisir elle-même son futur époux, ils avaient décidé d'être ensemble. Ils avaient décidé d'enfreindre les codes. Park n'oubliait pas les mots de son père et alors qu'il effleura le col de l'uniforme, il ferma les yeux. Il se rappela le parfum de sa mère, d'un bref sourire aussi et d'une étreinte.

" - Hey, bol de riz, t'as fini de rêvasser, on travaille là ! ".

L'homme rouvrit les yeux. L’appellation n'avait rien de raciste ou de méchant, Park le savait bien. Il avait l'habitude de ce genre de surnoms, surtout lorsque cela venait de ses amis. Malgré son stoïcisme, il avait apprécié le courage de ces personnes et le fait d'avoir osé défier ses nerfs. Les premiers temps, il avait simplement répondu par un crochet du droit ou un uppercut et par la suite, bah, il avait laissé couler, les autres étant bien trop bornés ou attachés à ce genre de codes que les amis avaient entre eux. Se donner des surnoms. Faire parti d'un groupe. Peu sociable et préférant la solitude aux bavardages incessants, il avait appris à apprécier quelques discussions et même la compagnie de certains avec qui il avait grandi.

" - Une minute Alexander. Donne-moi juste une minute. ".

Son ami le fixa, perplexe. Xander, c'était lorsqu'ils s'amusaient et qu'ils riaient. Alex, c'était lorsqu'ils se chamaillaient et en venaient aux poings. Alexander... L'ami compris et acquiesça d'un signe de tête. La compréhension, la compassion, c'est ce que Park avait appris aussi avec ses camarades. Ses yeux restèrent fermés alors que l'autre homme quitta la pièce sans ajouter quoi que ce soit.

Je suis enceinte, sa mère avait-elle dit à son père un soir. Ils n'étaient pas mariés et leurs idéaux, avec leur romance et les projets qu'ils avaient eu, avaient changé. Ils avaient dû fuir. Passer la frontière entre le nord et le sud n'était pas une option envisageable, bien trop dangereux. Ils étaient passés par la frontière chinoise, regagnant lentement mais sûrement la Corée du Sud où ils s'installèrent finalement à Pusan. Il se rappelait encore les jolies histoires que sa mère lui contait avant de dormir et de comment elle avait enjolivé la vérité. Cinq ans, six ans peut-être après la naissance de l'enfant, des espions nord coréens étaient venus abattre ses parents. Les choses ne se passent plus comme cela de nos jours, tout est tellement plus subtil et c'était une toute autre époque.  Cela excusait-il pourtant le pays ? Non. Recueillit par des amis de sa famille, il fut emmené aux Cinq Pics. Il n'avait jamais su pourquoi l'y avait-on emmené, on lui répéta simplement le Destin. L'enfant apprit à ne pas mûrir sa vengeance, à contrôler sa haine et sa force. Il transforma sa soif de vengeance en justice, instaurer quelque chose de juste dans ce monde corrompu.

Des orphelins, il en avait beaucoup croisé aux Cinq Pics, des garçons et même des filles, s'entrainant pour une cause qui lui avait longtemps échappé. Désormais, il savait ce que cela impliquait et ce que représentait l'armure qu'on lui avait confié. Il n'était pas de ces justiciers qui voulait faire le bien, non, mais de ceux qui voulaient être justes. Park ouvrit les yeux, le parfum de sa mère avait disparu, laissant place à la moisissure et à la poussière qui lui chatouillait le nez. Il décrocha l'uniforme de son père et le plia proprement, le gardant en main avant de rejoindre son ami.

" - Nous pouvons rentrer. Nous avons des innocents à protéger et une justice à rendre. ".