« Natán ! » Ce n’était qu’un cri. Un appel vain dans la nuit. Il ne voulait pas l’entendre. Le garçon s’enfuit dans la nuit, ignorant l’appel de sa sœur. Il voulait seulement être seul, ne pouvait-elle donc pas le comprendre ? Sa colère … c’était sa colère qui guidait ses pas sous la voute étoilée. Il n’y avait que l’obscurité qui le rassurait dans ce monde, il se sentait plus fort lorsque le soleil se couchait. Il préférait la lumière crue de la lune à la chaleur dérangeante du soleil. Lorsqu’il atteignit enfin les falaises en bord de mer, il s’arrêta de courir. Immobile, les poings serrés, il n’était qu’une ombre parmi les ombres. Il ne supportait plus le reste du monde, même sa sœur était devenue trop oppressante ! Elle se démenait peut-être pour le protéger des autres, et il avait beau l’aimer de tout son cœur, il ne souhaitait qu’une chose pour l’instant : être seul. Natán serrait dans sa main le médaillon en forme de d’étoile si fort qu’il s’en faisait mal. C’était idiot de haïr les autres qui se moquaient de lui, qui lui faisaient du mal. Ils étaient idiots, c’est tout ! Sa sœur lui avait dit si souvent de les ignorer, mais il n’y arrivait pas. Il se sentait blessé au plus profond de son âme. Comment osaient-ils ? La haine s’emparait de lui sans qu’il ne puisse y faire quoi que ce soit.


Sa main enserrait la gorge du garçon avec la force d’un étau. Puisque sa sœur n’était pas là, il allait devoir s’occuper de celui-là tout seul. Le renégat au visage tordu par la peur avait osé se moquer de lui. De quoi l’avait-il traité, déjà ? Ah oui, de gosse de riche. Et de petit con aussi. Il l’avait même bousculé devant tout le monde. Natán avait attendu la fin des cours pour suivre le jeune homme jusque dans une petite ruelle. Ce n’était pas vraiment son genre d’agir de la sorte, car d’habitude, il laissait plus sa sœur aller s’occuper des agitateurs et de ceux qui osaient s’attaquer à lui.
Natán serrait de plus en plus fort. Il aurait voulu pouvoir aller plus loin. Il aimait la souffrance. C’était une chose transcendante que d’infliger aux autres ce qu’il subissait. C’était sa justice à lui. Il ne les aimait pas. Il n’aimait personne d’ailleurs, mis à part sa sœur, peut-être. Ils étaient si insignifiants que lorsqu’ils s’adressaient à lui, il le vivait comme un affront. Il allait à l’école parce qu’il y était obligé, mais il s’ennuyait là-bas. Il avait sauté deux classes déjà, et à présent que ses études touchaient à leur fin, il ne souhaitait qu’une chose : partir. Il voulait trouver un endroit où il pourrait être seul et enfin tranquille. Il desserra les doigts, et le jeune homme s’affala par terre, à peine conscient. Natán rit et tourna les talons. Cette ordure aurait mérité plus, tellement plus ! Il avait été bien généreux, aujourd’hui.


« Misanthrope. » L’oreille collée contre la porte, Natán écoutait ce que disait le psychologue. « Votre fils nourrit une haine et un dédain pour tous ceux qui l’entourent. Vous m’avez ordonné d’être sincère avec vous, et voilà la vérité. Je dirais que sa propension au sadisme vient de là aussi. » Sa mère sanglotait. Natán se laissa glisser contre la paroi de bois et se prit la tête entre les mains. Et maintenant ? Qu’allait-il se passer ? Ce salaud allait-il le faire enfermer ? Non. Personne ne lui ordonnerait ce qu’il devrait faire, ça non ! « Toutefois, j’ai l’impression Natán subit presque son caractère. Nous le connaissons tous les trois très bien, et je me souviens de lui encore tout jeune. Il était bien différent d’aujourd’hui. Non, je dirais que son caractère s’est développé avec le temps. C’est comme si sa haine lui était inhérente et s’imposait à lui. » Le professeur avait vu juste. Natán n’avait jamais su pourquoi il haïssait ainsi les autres. Il aurait pu les ignorer, il était trop bien pour eux ! Mais il n’y arrivait pas. Il voulait les voir mourir, tous. Sa haine, sa colère, tout ça semblait venir d’autre part. Comme s’il se préparait à quelque chose.




Sa sœur avait insisté pour qu’il inhale des sortes de vapeurs qui l’avaient plongé dans un sommeil profond, et lorsque Natán se réveilla en sursaut, son esprit était embrouillé. Qu’avait-il vu dans ce rêve ? Quelle était cette armure au halo sombre qu’il avait contemplée pendant ce qui lui semblait des heures ? C’était comme si elle l’appelait. Il n’était pas seul ? Il sentait une présence nouvelle … ou ancienne en lui. Oui, c’était nouveau et familier à la fois. Ça faisait partie de lui. C’était sa colère, sa haine, sa raison de vivre. C’était la clé de son salut, mais aussi de sa damnation. Il avait vécu l’enfer pendant vingt longues années. On l’avait humilié, on s’était moqué de lui pour ce qu’il était et à présent il sentait qu’il pouvait se venger. Toutes ces années passées à écouter sa sœur, à suivre ses enseignements … Tout cela prenait un sens tout autre à présent. Tout devenait clair. Il n’était pas celui qu’il croyait, il était bien plus ! Il était … Un dieu. L’idée s’imposa à lui comme la plus simple des évidences.

Alors il le sentit prendre possession de lui. La colère, la haine, la rage, la soif de sang et de vengeance prirent forme et se muèrent en un esprit à la puissance sidérante. Derrière ses paupières fermées, il voyait des étoiles, des centaines, des milliers d’étoiles. Des souvenirs jusque-là oubliés, ignorés, le transcendèrent. Des Guerres Saintes, une ennemie divine. Athéna ! Un cri, un grondement monta en lui jusqu’à se muer en un hurlement de douleur, de libération. Il était là, les deux genoux à terre. Il était un tout comme il était deux. L’autre, l’humain, était toujours là, mais bien enchainé au fond de lui.

Il était enfin lui-même ! Il sentait les dernières gouttes de bonté qui persistaient en lui s’évanouir lentement. Il leva les yeux vers Pandore. Sa sœur. Ou sa gardienne ? Peu importait. Son hôte s’était soucié si longtemps des autres que ça en devenait ennuyant à mourir. Hadès n’avait que faire de ces corps débiles qui se donnaient le titre d’humain. Il les ferait tous souffrir un jour ou l’autre, et cette seule pensée le satisfaisait. Mais il devait tout de même se venger. « Pandore. » Il sourit. « Occupes-toi de ceux qui m’ont causé du tort par le passé, et rejoins-moi ensuite au Giuddeca, nous avons une guerre à préparer. » Hadès avait soif de souffrance et vengeance, et il comptait bien assouvir ce désir brûlant.




Il fallait être patient. Attendre que l’armée infernale soit au complet. Assis, les yeux fixés sur Pandore, Hadès réfléchissait. « Toujours pas de signes d’Athéna ? » La réponse de sa sœur fut négative, bien évidement. Il ne pouvait supporter l’échec, et l’idée qu’il ne puisse même pas savoir où était son ennemie, lui qui pourtant savait toujours tout … Cela lui était insupportable. Mais il fallait être patient, encore un peu, quelques temps … Il devait laisser sa sœur s’occuper de tout, surtout pour qu’elle ne se sente pas mise à l’écart. Après tout, elle l’avait protégé, elle avait veillé sur lui pendant des années. Et puis … Il avait d’autres chats à fouetter, les affaires de Spectres n’étaient pas sa priorité. Ses pensées étaient tournées vers la Terre, vers les Hommes. Il avait vu leur vraie nature, il avait embrassé pleinement la condition humaine et il avait compris leur souffrance. Plus que jamais, il se devait de les libérer de cette souffrance, de l’inutilité de leur existence. Tous ces vices auxquels ils s’abandonnaient ne les conduisaient qu’à une seule fin : il fallait qu’ils soient punis. L’humanité devait être punie !